Les créateurs sont souvent interrogés sur leurs sources d'inspiration. S'agit-il de voyages, de salons d’exposition ou d'échanges avec d'autres personnes ? Même si cela s’avère très souvent vrai, il arrive aussi qu'une idée lumineuse surgisse simplement lors d'une promenade en forêt, à la campagne ou à la montagne. L'essentiel est de savoir regarder autour de soi.
Beau et mystérieux : dans ce projet le Physarum Polycephalum est utilisé comme un ordinateur biologique. Photo © ecoLogicStudio
Le projet artistique "Gan-Physarum : La Dérive Numérique" de Claudia Pasquero et Marco Poletto, fondateurs de l'agence d'architecture et d'innovation en design ecoLogicStudio, permet de regarder l'avenir avec défiance. Le Centre Pompidou a mandaté leurs équipes pour l'exposition "Réseaux-Mondes". Ils ont dû apprendre à un algorithme d'apprentissage automatique à se comporter comme un organisme monocellulaire vivant (un blob) afin de conceptualiser l'avenir bleu-vert d'un Paris bio-numérique et autonome.
Processus complexes : le quartier Beaubourg de Paris, où se trouve le Centre Pompidou, transformé de manière artistique par le Physarum Polycephalum. Photo © ecoLogicStudio
GAN est l'abréviation de Generative Adversarial Network, que l'on peut traduire librement par réseau génératif antagoniste. Il s'agit d'une architecture algorithmique qui utilise des méthodes d'apprentissage profond dans le but de créer de nouveaux modèles génératifs. Cette forme d'intelligence artificielle puissante a été entraînée par l'équipe de bio-informatique à "se comporter" comme un Physarum Polycephalum, un organisme visqueux monocellulaire.
Le processus est le suivant : une fois entrainé, le GAN-Physarum est envoyé dans les rues de Paris. Dans une vidéo générée par l'IA et intitulée "GAN-Physarum : La dérive numérique", il montre comment il décode et réinterprète les configurations du tissu urbain parisien d'aujourd'hui. Il est ainsi possible d’observer la transition entre l'ordre morphologique d'origine et un réseau émergent de systèmes de chemins. C'est, pour ainsi dire, l'infrastructure bleue-verte, humide et vivante de la ville du prochain millénaire.
L'affirmation forte d'une sculpture biologique, le projet artistique GAN Physarium "La dérive numérique" d'ecoLogicStudio commandité par le Centre Pompidou à Paris. Photo © Naaro
Dans une première vidéo sur l'intelligence artificielle, on découvre une peinture cinématographique d'un mètre carré environ dans laquelle un Physarum polycephalum vivant étire son corps en réseau pour se nourrir d'un network de nutriments dispersés sur la toile. C’est ce qui lui permet de cartographier avec précision les ressources biologiques actuelles de Paris. Le projet se poursuit avec une deuxième vidéo : “DeepGreen : Urbansphere”. Celle-ci montre l'application de l'algorithme GAN-Physarum à une série de projets lancés par le studio en 2019 en collaboration avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). "Dans ce contexte, nous assistons au déroulement d'une histoire post-naturelle. C'est une époque où l'impact des systèmes artificiels sur la biosphère naturelle est global, mais où leur action n'est plus exclusivement humaine", explique Claudia Pasquero, cofondatrice d'ecoLogicStudio et professeure d'architecture bio-digitale à l'UIBK et à l'UCL. "Des villes telles que Paris sont devenues des réseaux co-évolutifs d'intelligence biologique et numérique. Elles sont devenues des organismes synthétiques semi-autonomes."
Le présent et son extrapolation. La ville de Guatemala est représentée sur une image satellite montrant la végétation actuelle et un aperçu de l'avenir d'une ville bleu-vert. Photo © ecoLogicStudio
“DeepGreen : Urbansphere” explique en détail le processus qui sous-tend l'algorithme GAN-Physarum. Il décrit la recherche d'ecoLogicStudio sur l'application de l'intelligence artificielle dans le développement de nouveaux plans directeurs bleu-vert pour les villes modernes. Le cas de la ville de Guatemala est mis en évidence et illustré par une visite virtuelle du plan écologique basé sur des données. Il s'agit d'un projet à long terme qui vise à concevoir des villes structurées dont la taille et l’énergie collective permettent d’offrir un refuge aux personnes et aux animaux déplacés. Elles devraient favoriser la création de microclimats bénéfiques, reconstituer les sources d'eau épuisées et restaurer les terres altérées afin d'inverser les processus tels que la désertification, l'érosion des sols et la pollution. Cela nécessite des stratégies innovantes pour restaurer l'environnement urbain. "Avec DeepGreen, nous envisageons une ville bio-numérique autonome. Elle est conçue pour les habitants humains et non humains et planifiée par une nouvelle forme d'intelligence intra-humaine", résume Marco Poletto, cofondateur et directeur d'ecoLogicStudio.
La microbiologie au service de l'architecture. L'air peut être filtré par les murs ou les rideaux. Photo © ecoLogicStudio
BIT.BIO.BOT est un autre projet de mise en application par ecoLogicStudio. Il s’agir d’une expérience immersive ayant pour objectif de cultiver un microbiome urbain à domicile. L'espace expérimental vise à tester la coexistence entre les organismes humains et non humains dans la sphère urbaine postpandémique.
"Si nous contribuons collectivement, quotidiennement et localement à convertir les polluants atmosphériques et les contaminants de l'eau en aliments riches en nutriments, les écologies virales déséquilibrées auront moins d'occasions d'utiliser les chaînes d'approvisionnement alimentaire non durables et les atmosphères polluées pour attaquer et nuire à notre organisme", affirme Claudia Pasquero.
Designers visionnaires expérimentaux : Marco Poletto et Claudia Pasquero, les fondateurs d'ecoLogicStudio. Photo © Naaro
Dans le projet BIT.BIO.BOT, le laboratoire urbain associe l'architecture avancée à la microbiologie pour créer un habitat artificiel. Celui-ci est géré par une série de systèmes qui permettent de cultiver des microalgues dans des espaces urbains. Le mécanisme biologique central est le processus de photosynthèse induit par le soleil et le métabolisme des cultures vivantes de Spirulina Platensis, des microbes unicellulaires souvent appelés microalgues bleu-vert, et de Chlorella SP. Ces organismes vivants sont parmi les plus anciens de la terre et ont développé une intelligence biologique unique qui leur permet de convertir le rayonnement solaire en oxygène réel et en biomasse avec une efficacité inégalée.
Intelligence biologique : les cultures vivantes telles que les microalgues peuvent convertir le rayonnement solaire en oxygène et en biomasse. Photo © Marco Cappelletti
BIT.BIO.BOT se compose de trois systèmes interconnectés de manière fluide qui incarnent les environnements architecturaux de base d'une future maison : le revêtement vivant, le jardin vertical et la vie en communauté. Le revêtement vivant redéfinit les limites entre les espaces humains et non humains et entre l'architecture intérieure et extérieure. Il se compose de dix rideaux PhotoSynthEtica. De plus, son articulation augmente l'interaction entre la croissance des microalgues dans le milieu bio-gel et l'environnement, ainsi que le potentiel d'écran et d'ombrage. Chaque rideau mesure 3 mètres de haut et 1 mètre de large, avec 35 mètres de soudures numériques formant une cavité pouvant contenir 7 litres de cultures de microalgues.
La BioFactory : un projet pilote est déjà en cours au siège de Nestlé à Lisbonne. Photo © André Cepeda
Le "Vertical Garden" ou jardin vertical, un système domestique de culture d'algues, forme une zone tampon dense entre la façade habitable et l'espace communautaire, utilisée pour un modèle intensif de culture verticale d'algues. Une structure en acier inoxydable de 3 mètres de haut, entièrement réversible, abrite 15 kits de création BioBombola. Chaque unité est faite de verre borosilicate et de pièces bioplastiques imprimées en 3D et abrite 10 litres de cultures de microalgues dans un milieu nutritif très efficace. Les algues peuvent être récoltées indépendamment plusieurs fois par semaine et produire jusqu'à 100 grammes de biomasse. Cela équivaut à l'apport quotidien recommandé en protéines pour une famille de quatre personnes. Pendant la production, le "jardin vertical" est capable d'absorber une quantité de CO2 équivalente à celle de trois grands arbres adultes. Il ouvre ainsi la voie à la neutralité carbone au sein de l'architecture.
Adrián López Velarde et Marte Cázarez, les fondateurs d'Adriano di Marti, cherchaient une alternative au cuir sans souffrance animale et sans pollution, mais de la meilleure qualité. Photo © Adriano di Marti
Changement de décor à l'autre bout du monde : pour Adrián López Velarde et Marte Cázarez, tout a commencé par la prise de conscience d'un problème très spécifique. L'industrie textile est le deuxième plus grand pollueur de la planète, et le cuir est la pierre angulaire de cette industrie. La majeure partie du cuir provient du bétail, dont l’élevage demande beaucoup d'eau. Le cuir doit également être tanné, ce qui entraîne une consommation d'eau encore plus importante. Enfin, le cuir doit être traité avec des produits chimiques toxiques qui sont non seulement nocifs pour l'environnement, mais qui transforment le cuir en une matière non biodégradable. Il en résulte 100 millions de tonnes de déchets par an. Soucieux de remédier à cette situation, les deux entrepreneurs ont commencé à chercher une solution de remplacement n'utilisant pas de cuir animal ou synthétique, ni de bouteilles en plastique, qui sont tout aussi néfastes pour l'environnement. Ils ont donc entrepris des recherches intensives axées sur les matériaux d'origine végétale et ont trouvé une solution plus locale qu'ils ne l’avaient envisagé. Leur choix s'est porté sur le cactus, la plante la plus répandue au Mexique. Le cactus est bon pour la peau et n'a pas besoin de beaucoup d'eau. En outre, il absorbe et fixe le dioxyde de carbone.
Sous le nom de « Desserto », Adrián López Velarde et Marte Cázarez produisent du cuir végétal à base de feuilles de cactus. Ce type de cuir devient de plus en plus populaire, non seulement dans l'industrie de la mode, mais aussi dans les secteurs de l'automobile et de l'ameublement. Photo © Adriano di Marti
Le résultat est un matériau breveté à base de cactus, qui constitue une alternative au cuir animal et au simili cuir. La plante de cactus est durable et répond à des exigences élevées et à des normes environnementales strictes, telles que celles de l'industrie de la mode. En effet, la récolte n'endommage pas le cactus lui-même. Ainsi, la durée de vie moyenne du plant de cactus est d'environ 8 ans. Seules les feuilles matures sont récoltées et ce, de manière douce, en laissant les jeunes feuilles repousser pour être cueillies tous les 6 à 8 mois. Cette méthode présente de nombreux avantages : elle rétablit la biodiversité dans toute la région et inverse le changement d'affectation des sols (LUC), en passant d'une utilisation intensive à des conditions plus naturelles. Enfin, la culture originale de cactus, typique du Mexique, enrichit la microflore du sol.
De grandes quantités d'eau sont en outre économisées du fait qu’aucune irrigation artificielle ne soit nécessaire. L'utilisation de produits chimiques tels que les pesticides et les insecticides peut également être supprimée. Le matériau est lavé à l'eau, puis déchiqueté et séché au soleil pendant trois jours, ce qui permet de surcroit d'économiser de l'énergie. Un processus industriel permet d'extraire les protéines et les fibres du cactus pour produire de la bio résine. Celle-ci est transformée, à l'aide de produits chimiques non toxiques, en un biomatériau flexible de haute qualité, exempt de matières animales, qui constitue une alternative. Celui-ci est ensuite moulé dans la forme et la couleur souhaitées. C'est un matériau qui respire et ne se tache pas. L'absence de conflit intersectoriel est également un critère important : le sous-produit fourni à l'industrie alimentaire est de meilleure qualité, plus attrayant, ce qui encourage le secteur agricole à planter davantage de cactus.
Le mobilier multifonctionnel Stratum de The New Raw s'inspire de la nature pour recréer de la terre et une certaine sérénité. Photo © Michele Margot
Mais l’inverse est également possible, lorsque l'artificiel devient naturel. Le studio de design The New Raw, basé à Rotterdam, s'est inspiré de la stratification géologique pour créer le meuble de réception surdimensionné "Stratum". Cet élément sculptural de 18 mètres de long embellit la réception du nouvel immeuble où se trouvent les bureaux d'un pionnier du commerce en ligne à Utrecht. La plus grande œuvre monolithique conçue par le duo créatif à ce jour, met l'ensemble de l'espace en mouvement : elle se tord, se plie et se déplie en différentes hauteurs et largeurs. Conçue pour être multifonctionnelle, elle sert de siège, d'espace d'accueil, de jardinière, de poste de travail debout et de table d'appui.
Beauté stratifiée : les déchets plastiques se transforment en une formation rocheuse variée et personnalisée. Photo © Michele Margot
Le projet transforme 880 kilogrammes de déchets plastiques en un nouveau type de "pierre". Les formations rocheuses sont simulées à l'aide d'une technique avancée qui crée une sculpture en 3D. Tout comme les couches naturelles de sédiments fossiles sont comprimées et pétrifiées au fil du temps, chez Stratum, une nouvelle couche est déposée sur la précédente jusqu'à ce qu'elle prenne sa forme massive finale. Certaines couches sont déformées en arcs par des mouvements ultérieurs lorsque les sédiments sont encore mous. Pour renforcer la métaphore du processus géologique, la forme arrondie est le résultat d'une esthétique soignée qui combine le design, la robotique et l'artisanat, donnant délibérément à l'œuvre une touche artisanale. Des coups de pinceau gris sur un fond crème sont appliqués à des intervalles planifiés de manière aléatoire et dans des orientations toujours différentes. La couleur qui en résulte s'inspire des boîtes empilées dans les supermarchés, un clin d'œil subtil au client. En même temps, la texture met en valeur le caractère terreux du mobilier.
Les concepteurs de "The New Raw" au laboratoire "Print Your City - Zero Waste" à Thessalonique. Photo © Stefanos Tsakiris
Stratum est un mobilier sur mesure qui maximise les fonctions et s'adapte à différentes situations. Il convient aux bureaux, aux réceptions, aux salles d'attente ou à la restauration. Avec sa forme solide, il chorégraphie un paysage intérieur qui invite à une exploration intuitive grâce à ses lignes courbes.
"Jouer et interagir avec Stratum stimule les sens et crée un engagement avec les autres. La matérialité est un facteur important dans notre recherche car elle joue un rôle important dans la perception mentale, visuelle et physique d'un espace", expliquent Panos Sakkas et Foteini Setaki, tous deux architectes et cofondateurs du studio. "Dans ce cas, Stratum améliore le caractère et les fonctionnalités d'un hall d'entrée ordinaire, tout en donnant un sentiment de familiarité et en mettant les visiteurs à l'aise.
Ceci est une traduction éditée par Jan Hoffman d'un article écrit par Barbara Jahn